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Éclipse solaire du 21 août 2017 - Son influence sur les communications

Éclipse solaire du 21 août 2017
Son influence sur les communications
Par GOETGHEBEUR Hervé "F6UGW" - www.f6ugw.fr
 

Cet article est paru dans la revue Radio-REF n°917 de Février 2018 et dans le bulletin asociatif CQ59 n° 401 de l'ARAN59.

 

Dans le cadre de l’éclipse solaire, qui eut lieu au États-Unis, le 21 août 2017, l’ARRL et HamSci.org ont mis en place une collaboration entre les radioamateurs, radioastronomes, astronomes et la NASA. Au cours de cette journée, les radioamateurs pouvaient participer au QSO dit de l’éclipse solaire (Solar Eclipse QSO party "SEQP). À la suite de cela, de nombreux comptes rendus furent édités dans diverses revues dont ceux de l’ARRL, desquels je me suis librement inspiré pour rédiger cet article.

Caractère scientifique :

La coopération entre les scientifiques et les radioamateurs ne date pas d’y hier. En effet, de par le caractère désintéressé de ce loisir, les radioamateurs ont toujours épaulé les chercheurs. Le premier exemple concret date de 1920. Année ou eu lieu les premières études sur la réflexion ionosphérique (1). De ces expériences, une meilleure compréhension de la propagation des ondes, suivant les différentes couches de l’atmosphère, alors connu sous l’expression de "couche de Kennely-Heaviside" (2), fut examinée.

Tableau 1 F6UGW

Au cours des années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, et pendant les périodes d’intenses activités des tâches solaires, les radioamateurs ont découvert la propagation Trans-équatoriale (TEP), des signaux VHF sur des distances intercontinentales (3). Des essais eurent lieu dès 1950, point de départ de ce que l’on appelle le maximum moderne (4). En 1957, année internationale de la géophysique, les radioamateurs réalisèrent des évaluations de la propagation sur 50 MHz, 144 MHz et sur 220 MHz (5). Des initiatives sont entreprises entre 1957/58, lors des périodes de fortes intensités solaires du cycle n°19, générant plus de 300 000 courriers de la part de la communauté internationale.

D’autres prospections, amorcées en 1959, ont facilité la conception des premiers modèles numériques des surfaces ionosphériques. Puis, lors des pics des taches solaires de 1970 (cycle n°20) et de 1977 (cycle n°21). Par la suite, un réseau mondial de balises (6) muni d’émetteur plus ou moins puissant (de quelques watts à ± 100 watts) a été mis en place de par le monde.

Quand n’est-il de la science amateur aujourd'hui ?

L’amélioration des transmissions passe par une meilleure connaissance des mécanismes de la propagation ionosphérique. En 1997 et 2008, des recherches furent effectuées engendrant un grand nombre de rapports d’écoutes. Au cours de ces dernières années, des créations individuelles ont permis d’expérimenter diverses approches quantitatives en vue de décrire, d’expliquer et de prédire ses phénomènes sous forme de données variables et mesurables.

Ainsi est né le réseau de balises inversés "Reverse Beacon Network – RBN". Le fonctionnement est exactement l’inverse de celui d’une balise classique, d’où son nom, et s’appuient sur la réception auditive des QSO CW par l’intermédiaire d’un programme dédié "CWSkimmer". Depuis, d’autres modes opératoires sont apparues en même temps que les évolutions logicielles : PSKreporter (7) ou WSPRreporter (8), pour ne citer qu’eux. Ces logiciels, couplés à un récepteur SDR (9), analysent en temps réel les occupations fréquentielles des appels sur une large bande spectrale pour en extraire le rapport signal sur bruit (10), la vitesse de transmission et d’autres paramètres issus de nos bandes. Les résultats sont ensuite acheminés par Internet sur un serveur distant (www.reversebeacon.net). Des lors, il nous est possible de faire une synthèse informatique, pour déterminer le sens de la propagation, suivant la position géographique des récepteurs.

Analyse des comptes rendus :

L’effet principal d’une éclipse de soleil (partielle ou totale) est de modifier brusquement la distribution électronique des couches ionisées, et plus particulièrement celle des couches D, E et F. Les effets du bruit atmosphérique, dû aux éjections de la matière coronale du soleil (Coronal Mass Ejection "CME"), étaient relativement calmes jusque bien après la fin de l’éclipse. Le nombre de tâches solaires relevés (SSN) était de 44, pour un flux solaire de 83 et un indice KP de ± 3 (proche du minimum solaire).

Figure 1   QSO realise lors du SEQP F6UGWLe tableau 1 permet de voir les statistiques de ce SEQP. Confirmé depuis par les nombreuses conférences de l’HamSCI (www.hamsci.org). Les indications, dérivées des récepteurs RBN, nous permettent de visualiser les variations sonores. La dispersion géographique des stations rend la tâche plus difficile, du fait de l’évolution des modes de propagation dans le circuit, et les points de réflexion se trouvant eux-mêmes fortement dispersés aux cours de l’éclipse. La carte de la figure 1 met en valeur chaque bande active de couleurs distinctes. Les paramètres susceptibles d’agir sur l’évaluation du niveau du signal, et qui varient d’une station à l’autre, ne peuvent qu’être difficilement introduits dans les estimations qui prennent en compte le type d’antenne d’émission et de réception, le gain, la forme du diagramme de rayonnement, le récepteur et sa sensibilité qui influence fortement le niveau reçu au cours de l’éclipse. D’autre part, la restructuration des modes de communication est importante, et les conséquences sur les angles d’élévation du circuit varient beaucoup par rapport à ceux des antennes. Il est également possible d’apercevoir les projections reçues sur chaque bande, afin de mettre en lumière certaines particularités du signal.

Figure 2   Spot par bande F6UGW

 

Les courbes de la figure 2, réalisées à partir des informations fournies sur le réseau RBN, montrent en % le nombre maximum de spots reçus. Tout en matérialisant les enchainements sur les fréquences utilisées (Foncé "pas d’éclipse", gris clair "éclipse partielle" et en blanc "éclipse totale").

 

 

Figure 3   Différence de TEC F6UGW

 

 

La courbe des niveaux reçus peut s’interpréter de la façon suivante : la période située entre 14 h et ± 17 h, correspondrait à une utilisation normale pour la saison. Tandis que la brusque augmentation des performances sur la bande des 3,5 MHz, vers les 18 heures, entraine une décroissance des contacts sur le 14 MHz. Ce brusque changement est dû au fait que les signaux présents avant le début de l’éclipse solaire, c’est-à-dire ceux traversant les couches ionosphériques, ont soudainement disparu. Permettant à la bande des 80 mètres, entre autre, de retrouver une animation de type nocturne en plein jour d’été ! Une fois l’éclipse terminée, les bandes ont retrouvé leur niveau normal. Cette modification de la propagation, et des niveaux de réception, semblerait être due à l’éclipse. Et non à un phénomène perturbateur (perturbation solaire, par exemple).

 

 

Figure 4  Variation du niveau de reception.F6UGW

 

L’apparition d’une éclipse réduit momentanément la production d’électron. Afin de suivre idéalement les phénomènes de désionisation des électrons, l’observatoire d’Haystack "www.haystack.mit.edu" a cartographié (en bleu sur la figure 3) la mesure des électrons libérés par les rayons ultraviolets du soleil. Ethan Miller (K8GU), a analysé en fonction du lever du soleil, la progression des spots RBN sur la bande des 40 mètres. La figure 4a, montre l’évolution des QSO (magenta) réalisés hors éclipse. Tandis que la figure 4b, prend en compte les QSO réalisés en période d’éclipse (nuance de bleu). Toutes les liaisons ont été accomplies sur une distance supérieure à 1500 Km.

Les sismographes de la NSARC ont relevé un affaiblissement sur les bandes HF (À cause d’une diminution du flux solaire). Le bruit de fond sur 14 MHz n’a pas augmenté pendant la durée de l’éclipse (https://nsarc.ca/). Cependant, il a été démontré, de manière concluante, que les éclipses stoppent la production d’ions dans l’atmosphère. Les amateurs ont pu observer par effet doppler le décalage, le déphasage ainsi que les changements d’amplitude des signaux sur les stations de radio WWV, WWH, WWVB et en modulation d’amplitude (11).

 

Radioastronomie :

Figure 5 F6UGWEn radioastronomie, les émissions hertziennes du soleil, et son instabilité, constituent le rayonnement fondamental. Produisant des répercussions thermiques dans la chromosphère (12) et dans la couronne solaire. Ces effervescences électromagnétiques de notre étoile, sont désignées sous les vocables de "bruit solaire" ou de "sursauts". Représentant les émissions solaires d’ondes hertziennes naturelles parvenant à la surface terrestre (des ondes kilométriques à 300 GHz). On sait maintenant que ces éruptions lumineuses, correspondant à l’apparition d’une brusque illumination dans l’environnement d’un groupe de tâches, de plusieurs centaines de Km/seconde, sont suivies d’un envol de "filaments".

Figure 6 F6UGWDans le but d’écouter les émissions du bruit solaire, des radioastronomes amateurs ont mis en place, depuis la ville de Johnson (Tennessee), une surveillance de la bande UHF [420 et 450 MHz] (Figure 5). Pour visualiser le comportement sur ces fréquences, ils avaient à leur disposition une antenne fournissant un gain de ±16 dB accouplé à un préamplificateur et à un récepteur Icom R7000 : dont le contrôleur automatique du gain (AGC) fut rendu inactif. Pour ce faire, ils ont effectué des observations solaires en examinant les enchaînements sur 421,021 MHz. Activités qui eurent lieu entre 17h08 (Onset/Début) et 20 h TU (End/Fin) avec une obscuration maximum de 96,8 % relevé à 18 h 26 TU. La réception présente une dégradation constante du signal, et ceux dès le début de l’éclipse, pour se terminer 1 heure et 22 minutes plus tard avec un abaissement de 35,2 % du flux solaire. Durant cet enregistrement, le soleil s’est déplacé de 77° vers l’ouest et de 16° en altitude. Au cours de cette expérience, la température était descendu à -14,5 °C (6°F). Ce phénomène fut encore constaté plus de 34 minutes après la fin de l’éclipse. 1 heure et 20 minutes plus tard, la température était redevenue à son niveau normal d’avant éclipse (Figure 6). Ces interactions exceptionnelles, liés au bouleversement de la propagation, s’intègrent dans un ensemble de conditions sporadiques affectant à des moments quelconques une partie, ou la totalité, du spectre radioélectrique. Créant des anomalies inhabituels comme le "fading", les zones de silence et modifiant la forme et la fréquence des parasites naturels (QRN d’origine terrestre ou solaire), avec des successions du niveau de bruit capté par l’antenne.

Quelles conclusions peut-on tirer de cette étude ?

Tout d’abord, on peut dire que l’action de l’éclipse, sur le niveau du signal, est plutôt due à une agitation de la structure des modes de propagation, qu’à une dévaluation de l’absorption ionosphérique. Si l’on en juge par les informations reçues, cette métamorphose serait très rapide et provoquerait des mutations importantes, puis on assisterait ensuite à une stabilisation des conditions après le passage de l’éclipse. Il est certain cependant qu’à part cette altération de la structure des modes, l’influence de l’éclipse sur le fonctionnement des circuits de communication est minime, sa durée étant trop faible pour apporter une perturbation sensible et surtout durable au mécanisme de formation des couches ionisées.

Toutes les fréquences ne se réfléchissent pas de la même façon. Ces agissements ont démontré que la fréquence critique de la couche F (F1, F2) augmente dans certains cas, diminuant dans d’autres, et que la ionisation de la couche D s’est affaiblit pendant l’éclipse. Alors que ses rebondissements étaient inattendus. Toutefois, ces réactions ont été observées avec plus de détail qu’auparavant. Le comportement des ondes sur les bandes décamétriques est assez bien connu et, depuis de nombreuses années, des prévisions de propagation assez fiable sont publiées. Tandis que sur les autres bandes, des réflexions ont été constatées sur les aurores boréales, les traversées de météorites et en sporadique E.

Cette éclipse a permis d’observer la diffusion ionosphérique dans l’atmosphère. Le but de cette animation était de générer avant tout une occupation fréquentielle, dont un bonus de points fut mis en place pour stimuler le trafic (13). Mais aussi d’obtenir des éclaircissements, et éventuellement des réponses, pour vérifier ces transitions ionosphériques. Cette éclipse américaine était la première depuis près d'un siècle. Intéressant des contrées aux conditions météorologiques beaucoup plus favorables, des millions d'Américains, de passionnés et de curieux ont observé l’éclipse, et les perturbations atmosphériques, depuis l’intérieur de la bande de centralité qui traversait les États-Unis, d’Ouest en Est, de l’Oregon à la Caroline du Nord et du Sud (en noir sur la figure 1). Avec un peu plus de deux minutes d’obscurité par endroit. Il était également possible, pour certaines régions françaises de visualiser une éclipse partielle, comme précisé dans diverses revues astronomiques. Néanmoins, les enregistrements restent à être validés par les coordinateurs scientifiques pour clarifier les informations graphiques et mesures collectés lors de ce SEQP.

Remarques et ressources :

(1) L’ionosphère est la région ionisée de l’atmosphère terrestre, qui s’étend environ de 50 à 2000 Km au-dessus de la surface de la terre. On a l’habitude de diviser celle-ci en trois régions, encore appelées couches, que l’on désigne par les lettres D, E et F par ordre croissant d’altitude.
(3) Voir à ce sujet les excellents articles dans radio-ref de Serge Cannivenc (F8SHV) dédiés à l’étude de la propagation des ondes. Les plus chanceux pourront toujours se retourner vers ses livres.
(4) Cette période est le point de départ et sert d’exemple pour l’étude des variations solaires.
(5) Le 220 MHz, est une fréquence qui est attribuait aux radioamateurs de la région 2.
(9) C’est une radio logicielle, en anglais Software Radio ou Software Defined Radio (SDR) : https://fr.wikipedia.org/wiki/Radio_logicielle.
(10) En Anglais : SNR pour signal-to-noise ratio.
(12) La chromosphère (littéralement "sphère de couleur"), est une couche irrégulière d’environ 5 000 Km d’épaisseur, qui se tient au-dessus de la photosphère. Elle doit son nom aux protubérances rougeâtre que l’on peut voir dessiner des arcs autour du soleil pendant une éclipse solaire.
(13) http://www.f6ugw.fr/ (Onglet AstroRadioSat).

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